Le titre hasardeux du présent billet, Lionel Esparza - qui aime bien « causer » (avec brio) de tout et de rien - n’aurait pas osé le commettre! Les fidèles auditeurs de « France musique » savent que le jovial et populaire animateur, adepte des jeux de mots, essaie souvent d’en glisser un lorsqu’il prend le relais de François-Xavier Szymczak ou quand il le passe ensuite à la gracieuse Aurélie Moreau que cela fait rire. Le denier en date : « Ça Böhm? »… Les membres de ce trio sympathique officient désormais à tour de rôle tous les après-midis, sur une chaîne de radio qui semble avoir enfin trouvé son nouveau souffle, comme en témoigne l’augmentation de l’audience. J’ai maintes fois évoqué ce sujet, non sans maugréer, à l’occasion des remaniements successifs opérés sur la grille des programmes. Je ne résiste pourtant pas au besoin d’en remettre une couche, comme dirait un de ces nouveaux auditeurs si distingués qui n’aiment pas Beethoven ni Mozart et Cosi fan tutte, un comble sur une radio essentiellement vouée à la musique dite « classique ».
La chaîne musicale continue donc son évolution, en mettant aux postes clés (d’ut, comme « utilité ») les animateurs/ producteurs qui ont fait leurs preuves. Le hic est qu’elle s’enlise dans une voie qu’avaient discrètement tracée des précurseurs (qui se sont évaporés depuis) ; cette démarche, qu’un François Hudry a ensuite adoptée (sauf erreur), consiste à donner la parole aux auditeurs, entre deux annonces publicitaires des programmes à venir. Cela allait bien quand les « réseaux sociaux » n’existaient pas encore mais le style « entre-soi » et le ton familier qui caractérisent maintenant certaines émissions rendent difficile leur écoute intégrale. France musique est paradoxale, en se renouvelant dans la continuité : d’un côté on subit un martelage d’annonces nous ramenant plus d’un demi-siècle en arrière - quand sévissaient à la télévision les insupportables (pas pour tous) spots commerciaux de Disney Channel - et, d’autre part, on pâtit de la soumission de certains animateurs à la dictature des réseaux sociaux.
Fort heureusement, cette « dysneylandisation » (1) de la chaîne n’affecte qu’une partie des programmes ; la plupart des producteurs ne se sont pas laissé piéger ; ainsi, quand la susnommée Aurélie Moreau répond – tout sourire - à un auditeur « qui en a « plein les trous de nez » de Beethoven (quelle classe!), elle ne se démonte pas et propose une autre œuvre du même, qui est précisément l’objet de son excellente émission (Ludwig van, diffusée de 17 à 18 heures - publicité gratuite est-il besoin de le préciser). La semaine dernière encore, une auditrice, « qui en a assez qu’on fête le 250e anniversaire de la naissance du compositeur, l’a fait savoir à Lionel Esparza ; ne tenant pas compte de cette autre réflexion consternante, ce dernier, qui connait bien la psychologie des auditeurs, propose à son tour un autre opus dudit ! Et vlan Beethoven! Les gens ont le droit de ne pas aimer la musique de ce génie; libre à eux d’aller sur un poste adapté à leurs goûts (« Rance musique? ») mais les ploucs devraient se dispenser d’afficher leur bêtise sur la place publique.
Cela dit, en écoutant certains programmes, on a parfois l’impression d’avoir changé de longueur d’onde ; d’être tombé sur FIP, notamment. Étant déjà obligé de supporter ce poste de radio une fois par semaine chez le kinésithérapeute, arthrose oblige, j’ai le sentiment d’être condamné à la double peine! Heureusement, cela ne dure qu’une heure et, en matière de musiques de fond, ce qu’on entend dans d’autres cabinets de kiné que je connais est bien pire. J’ai observé que Denisa Kerschova avait un peu tendance à aller dans le sens de la facilité. Dans un billet précédent, j’avais dit du bien de son émission qui est pourtant de celles où les auditeurs peuvent gagner un disque mais je pense qu’il s’agit là de tactique de sa part: l’animatrice a la faiblesse (ou l’intelligence subtile) de présenter les diverses facettes de la musique, afin de satisfaire tous les goûts.
N’oublions pas que la chaîne s’est appelée un temps « France musiques ». C’est pourquoi je ne ferai pas à Thierry Jousse le grief de nous avoir bassinés tout l’été avec ses « retours de plage » et qui continue de distiller, parce qu’il les affectionne, les musiques de films que - pour ma part - je trouve souvent indigestes, ma capacité d’absorption du genre étant assez limitée.
En matière de pluralité encore, l’inusable « Tribune des critiques de disques » donne souvent l’impression que les invités n’écoutent pas la même œuvre ; ce qu’avait déjà remarqué avec humour le facétieux Peter Ustinov… Il se serait régalé de parodier aussi les auditeurs mais, à l’époque, ces derniers n’avaient pas leur mot à dire. Désormais, ils sont invités à participer à l’émission en votant mais il n’y a pas de récompense à gagner ; pas de disque, du moins pas encore …
Je vais arrêter là les critiques, pour ne pas tomber à mon tour dans le travers des redites, si ce n’est pas déjà fait. Pour résumer, je dirai que je discerne deux catégories d’auditeurs de France musique: les nouveaux venus, accros des réseaux sociaux (et auxquels on doit peut-être la hausse des statistiques d’écoute) qui s’épanchent sur « France musique est à vous » et ceux qui prennent leur pied en écoutant « Musique émoi » ; toute la différence est là. Les lecteurs qui auraient envie de savoir ce que j’ai écrit d’autre à ce propos peuvent se reporter aux billets publiés depuis 2006 ou consulter ma grille personnelle d’évaluation des programmes. Après plusieurs déclarations d’intention, je finirai peut-être en 2021 la mise à jour de ce palmarès - la 6e - commencée en janvier de l’année dernière. L’avenir le dira.
(1) Cette nouvelle catégorie d’auditeurs de France musique me rappelle un souvenir rapporté par Tomy Ungerer ; alors qu’il déambule dans sa chère cathédrale de Strasbourg, il entend une touriste américaine visitant le monument s’exclamer : « Mon Dieu! On dirait Disneyland ! » (Mon Alsace, 2006).